Jacob Holtzer : un Alsacien à Unieux

Pierre Mazet (http://www.pierre-mazet42.com/) auteur de nombreux Polars et passionné d’Histoire nous présente des stéphanois dont parfois par manque de culture nous ignorons l’existence, il existe une version en livre : Chroniques Stéphanoises.

Dans la Loire, Jacob Holtzer, c’est déjà le nom d’un lycée professionnel de Firminy, mais c’est aussi celui d’une rue et d’un stade à Unieux. Derrière ce patronyme, se cache une grande aventure industrielle, initiée par un Alsacien, commencée en 1820. Jacob Holtzer, jeune ouvrier forgeron de Klingental en Alsace, vient rejoindre, dans la Loire, son cousin Jean Holtzer, arrivé quelques années plus tôt comme contrôleur de la Manufacture d’Armes.

Un maitre de forge inventif.

Les deux cousins fondent, en 1825 dans la vallée du Cotatay, près du Chambon-Feugerolles, une petite usine pour le corroyage[1] de l’acier. Devant l’afflux des commandes Ils la transfèrent en 1829 à Unieux, au moulin du Vigneron. En 1842, les deux cousins mettent fin à leur association. Jacob va pouvoir se consacrer à son usine d’Unieux. A proximité de son entreprise, il dispose d’atouts importants : il y a l’Ondaine, d’anciens moulins à eau, du charbon en abondance, peu cher et un savoir-faire métallurgique (clouterie). L’utilisation de la machine à vapeur (1843) et de nouvelles techniques permettent des gains importants de productivité. La ligne de chemin de fer entre Saint-Etienne et Firminy est ouverte en 1859, donnant une nouvelle impulsion à l’entreprise.

Technicien d’élite, Jacob n’a de cesse de parfaire et de compléter ses connaissances. En 1852, il achète la licence « Wolf & Lansgwiller » pour la fabrication de l’acier puddlé, dont il est le pionnier en France, puis se lançe, en 1857, dans la fabrication de cloches en acier moulé. Soucieux de contrôler ses approvisionnements, il favorise la création de la Société des hauts fourneaux de Ria (1859), dans les Pyrénées-Orientales, dont il contrôle 40 % du capital. Son but est de de substituer les fontes au bois, d’une qualité exceptionnelle, aux fers de Suède.

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Un patron paternaliste et protestant.

Bien intégré à la population ligérienne, Jacob n’en oublie pas pour autant ses racines alsaciennes. En 1827, il épouse Marie-Caroline Toussaint, fille d’un instituteur alsacien, née à Heiligenstein. La main d’œuvre locale n’étant pas toujours à la hauteur de ses attentes, il fait venir une colonie d’ouvriers alsaciens, réduits au chômage.

Fidèle à son passé et à son éthique protestante, Jacob Holtzer s’efforce à réaliser une véritable communauté de travail. C’est ainsi, qu’au début, des voitures conduisaient le personnel au service religieux au Temple de Saint-Etienne avant qu’un pasteur ne s’installât à Unieux et qu’un lieu de culte fût aménagé dans l’usine. Dès 1839, il achète le pré dit « les Aiguiseurs » pour construire une première maison des employés. La Caserne, construite en 1847 sur deux étages, abrite 12 logements de 2 pièces. De nouvelles constructions sont réalisées en 1861. Une école maternelle est installée en 1840 dans un local de l’usine puis la société crée en 1872 des écoles publiques, gratuites et mixtes. Jacob soutient la création d’une caisse de secours en 1860. Soucieux d’occuper son personnel en dehors des heures de travail, Jacob organisait des fêtes alsaciennes réunissant patrons et ouvriers.

Unieux ressemblait parfois à un village de la route des vins ! D’autres initiatives, inédites pour ce temps, virent le jour à Unieux : pouponnière, salle d’asile, salle de visite médicale, système d’épargne, dont on raconte que madame Holtzer tenait le carnet des ouvriers ! Il n’est toutefois pas question de remettre en cause la hiérarchie sociale. Elle se lit encore dans ce qu’il reste des constructions réalisées par les Holtzer autour de leur usine sous le Second Empire : dans son parc étagé au-dessus de la plaine, le « château » édifié par Jacob Holtzer et des maisons d’ingénieurs et de contremaitres, et alignées au long de l’Ondaine des « casernes » ouvrières.

Jacob ne s’est pas contenté d’être patron, il s’est largement investi dans la vie locale. Conseiller municipal dès 1837 puis maire d’Unieux sous la monarchie de Juillet et, après une interruption (1848-1852), sous l’Empire (nommé pour la première fois le 18 septembre 1840 et pour la dernière fois le 31 juillet 1860), Jacob contribue largement à l’essor de la commune qui comptait 1 472 habitants en 1841 et 2 414 en 1861. Protestant conciliant, sa nomination en 1853 est même réclamée par le curé.

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En se retirant en 1860, il laisse la place à son fils Jules et à son gendre Pierre-Frédéric Dorian. Épuisé, surmené par une existence de labeur intense, il ne profite guère de sa retraite. Il meurt, foudroyé par une attaque, le 9 janvier 1862. Comme le soulignait le Courrier de Saint-Étienne : « Chez lui, le repos ne fut jamais que le changement d’occupation ».

A l’origine d’une longue aventure industrielle. 

L’aventure ne s’est pas arrêtée au décès de Jacob. En 1860, la société Jacob Holtzer, société en nom collectif, devenue en 1863 « Dorian Holtzer Jackson & Cie », fut dirigée conjointement par Jules Holtzer et Pierre-Frédéric Dorian. En 1876, le gendre de Dorian, le député radical Paul Ménard-Dorian, assure la gérance. Les travaux de Jean-Baptiste Boussingault puis de Brustlein permettent la mise au point d’aciers spéciaux (les aciers au chrome, au tungstène). Cela permet à l’entreprise de développer la fabrication des canons, des projectiles, des blindages et même de cloches.

En 1887, après le retrait de Charles Dorian, Louis Holtzer devient cogérant avec Menard-Dorian, et, sous leur direction, l’entreprise connaît une période particulièrement brillante : en 1897, l’entreprise emploie 1 500 ouvriers. Elle est l’une des premières à introduire la métallurgie électrique, utilisant le procédé Keller et installant le premier haut-fourneau électrique à Livet (Isère).

Au décès prématuré de Louis Holtzer (1894), son frère Marcel lui succéda, dernier Holtzer à diriger l’entreprise : il meurt en 1916. En 1910 la société passe en société en commandite par actions et, en 1916 en société anonyme. Le centenaire de la fondation est célébré avec éclat en 1929. En 1953, Jacob Holtzer constitue avec les trois grandes aciéries de la région (Forges et Aciéries de la Marine, Aciéries de Saint-Étienne et Aciéries et Forges de Firminy), la Compagnie des Ateliers et forges de la Loire (CAFL) devenue ensuite une composante de Creusot-Loire.

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[1] Le corroyage consiste en un martelage du métal au pilon, au marteau ou à la presse, de manière à améliorer ses caractéristiques mécaniques.

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